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Le litige du travail a-t-il une nature réfractaire à l’arbitrage ?

Article par M. Laurent POSOCCO, Maître de Conférence à L’Université Toulouse Capitole UT1

1. Signes avant-coureurs de l’admission de la clause compromissoire ?

Voilà quelques années maintenant que se développent des institutions arbitrales intervenant en droit du travail[1] alors même que la réglementation prud’hommale, inchangée, est toujours aussi hostile à la justice privée. 

Si la validité du compromis d’arbitrage intervenu après la rupture du contrat est admise depuis longtemps[2], celle de la clause compromissoire est loin d’être évidente[3]. L’article 1411-4 du code du travail, en vigueur, dispose en effet que : « Le conseil de prud’hommes est seul compétent, quel que soit le montant de la demande, pour connaître des différends [du travail] ». Il énonce encore que « toute convention contraire est réputée non écrite ». Rappelons également la survenance d’une décision a priori dévastatrice[4], ayant écarté le principe de compétence-compétence de l’arbitre saisi en cette discipline en l’absence d’inapplicabilité ou de nullité manifeste de la clause compromissoire et alors qu’un doute subsistait relativement à la qualification du rapport substantiel en litige[5]. Toutefois, l’arrêt de cassation incriminé rompait avec l’aversion naturelle pour la clause compromissoire en droit du travail en la rendant en matière interne simplement inopposable au salarié[6] et non plus nulle ou réputée non écrite. La réforme de 2016 du droit des obligations devait consacrer cette lecture, le nouvel article 2061 al. 2 du Code civil, issu de l’ordonnance 2016, disposant que : « lorsque l’une des parties n’a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause ne peut lui être opposée ». Le litige du travail n’est donc pas, par nature, réfractaire à l’arbitrage[7]. Peut-être la voie de l’admission de la clause compromissoire se prépare t-elle. Le juge pourrait confirmer cette éventualité. Il nous semble que c’est la norme qui devrait s’emparer de la question en ouvrant la voie de l’arbitrage lorsque celui-ci est autorisé par la convention ou les accords collectifs[8] et pour les contrats d’une certaine importance[9]. En effet, dans ces cas, les argumentsutilisés traditionnellement contre le déploiement del’arbitrage (consentement imposé au salarié, coutdu procès, difficultés d’accès au juge, absence deressort territorial) seraient moins pertinents.

2. Signes avant-coureurs de l’admission de la clauseSignes avant-coureurs de l’admission de la clausecompromissoire ?

La question qui se pose est avant tout celle de la pertinence de la méthode en droit du travail. Une admission élargie de l’arbitrage ne peut en effet se fonder sur les seuls dysfonctionnements de la juridiction paritaire[10], laquelle pourrait tout simplement être réformée. La volonté d’écarterla voie de l’appel[11] ou encore d’aboutir à unesolution rapide[12] ne saurait à elle-seule motiver la mobilisation d’auteurs réputés, de juristes reconnuset de litigants en faveur de la technique arbitrale. En réalité, l’arbitrage, dans cette matière comme dans les autres, permet un examen non seulement rapide mais aussi approfondi des contentieux.

Cette accélération peut par exemple se révéler profitable au salarié, impatient de recevoir une indemnisation et d’en terminer avec la divergence qui l’oppose à son employeur. Il a souvent besoin, pour retrouver un emploi, d’être disponible notamment au plan psychologique. Il lui faut, pour cela, dépasser une querelle qui l’épuise. Pour pouvoir se tourner définitivement vers l’avenir, il doit surmonter cette étape du procès en ayant la conviction que l’attention nécessaire aura été portée à son affaire, qu’elle aura été traitée sérieusement, avec la minutie et la clairvoyance requises. L’expertise des arbitres, dans une discipline aussi complexe que la relation de travail, est assurément un atout.

L’arbitrage permet également de préserver les intérêts de l’employeur. Pour lui, les contentieux sont chronophages, ils l’accaparent. Le chef d’entreprise et l’avocat qui ont commencé à suivre une affaire ne sont pas forcément ceux qui, quelques années plus tard, iront la discuter. Les informations se perdent, les événements s’oublient, l’origine de l’affrontement finit par devenir un souvenir imprécis enfoui dans les limbes abscons de l’histoire de l’entreprise. Chaque réunion va contraindre ces protagonistes à étudier le dossier au détriment d’actions vitales pour la vie de la structure. Il faut donc combattre ce fléau.

Autre avantage : pour l’ensemble des litigants, l’arbitrage est confidentiel. Le salarié et son employeur peuvent désirer une certaine discrétion à un moment où ils pensent que des oreilles indélicates, parfois malveillantes, s’intéressent à leur dossier. Un salarié, un groupe de salariés ou une organisation syndicale peuvent, dans certaines situations, souhaiter que leur différent soit tranché à huis clos. Ceci afin de protéger la réputation et l’image de personnes particulièrement exposées. Certains employeurs peuvent encore ne pas vouloir que le montant du salaire ou des avantages ne soit dévoilé à des concurrents. La non-divulgation d’informations stratégiques permettra de limiter certaines nuisances éventuelles.

3. Le rôle des professionnels

La pratique de l’arbitrage pour résoudre les litiges du travail est encore timide. Pourtant, ce mode alternatif de résolution des litiges est vrai semblablement l’avenir du contentieux social caril offre des garanties de confidentialité, de rapidité et d’expertise appréciables pour les justiciables. Il appartient désormais aux acteurs du droit et des relations professionnelles, par la voie du compromis lorsqu’il est possible, de promouvoir cette technique, au bénéfice du service rendu au justiciable.

Laurent POSOCCO - Maître de Conférence à L’Université Toulouse Capitole UT1

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[1] Ex. le Centre National d’Arbitrage du Travail (www.cnat.paris).
[2] Le compromis d’arbitrage, conclu après la rupture du contrat de travail, c’est-à-dire une fois le salariéhors l’influence de son employeur, est valable. La Cour de cassation a jugé que « la cour d’appel ayantrelevé que le contrat de travail avait été rompu avant la signature du compromis, en a justement déduitque les parties étant devenues dès lors libres et capables de compromettre (…) elles pouvaient le fairede manière licite à la date du compromis » (Cass. soc., 5 déc. 1984 : Rev. arb. 1986, p. 47, M.-A. Moreau).
[3] Dans le sens d’une espérance de sa validité, v. G. Augendre, Edito, La lettre de l’AFA, juin 2015, n°16
[4] Cass. Soc. 30 novembre 2011, 11-12.906 : « attendu qu’il résulte de l’article L. 1411-4 du code du travailque le principe compétence-compétence selon lequel il appartient à l’arbitre de statuer par prioritésur sa propre compétence n’est pas applicable en matière prud’homale ».
[5] En principe, l’art. 1456 du CPC requiert la nullité ou l’inapplicabilité manifeste de la clause compromissoireafin que puisse être tenu en échec le principe de compétence-compétence dont jouit l’arbitresaisi.
[6] V. en ce sens L. Posocco, Exclusion du principe de compétence-compétence en matière prud’homaleCommentaire Cass. Soc. 30 nov. 2011, n° 11-12.905 et n° 11-12.906, FS-P+B. Petites affiches (n°89). p. 8.
[7] V. en ce sens rapport, J. Barthélémy et G. Cette, Refondation du droit social, concilier protection destravailleurs et efficacité économique : rapport au Conseil d’analyse économique, janv. 2010, chap. IV, préconisation6-3 qui soutient l’idée selon laquelle «le litige individuel du travail n’est pas congénitalementréfractaire à l’arbitrage» ; H. Motulsky, «L’arbitrage dans les conflits du travail », avec la collaboration deR. Plaisant : Rev. arb. 1956, p. 78, in Écrits, T. II, p. 113 et s., no 4. Dans le même sens, v. T. Clay, «L’arbitrageen droit du travail : quel avenir après le rapport Barthélémy-Cette» : Dr. sociétés sept. 2010, p. 930 ; P.Hébraud, «Domaine de l’arbitrage et de la clause compromissoire» : RTD civ. 1958, p. 662, spéc. p. 664.«Le contrat de travail n’était pas une matière soustraite, entièrement et de par sa nature, à l’arbitrage».Contra note sous Cass. soc., 30 nov. 2011, nos 11-12905 et 11-12906, FS-P+B ; S. Brissy, «Principe «compétence-compétence» : exit en matière prud’homale» : JCP S 31 janv. 2012, 1049, p. 43 et s.
[8] V. T. Tampiéri, « La nouvelle loi italienne de réforme de l’arbitrage» : Gaz. Pal. 21 avr. 2006, p. 939.
[9] Cette possibilité concerne les contrats en vertu desquels la rémunération excède un certain seuil ouencore au terme desquels les salariés exercent des fonctions d’encadrement dans l’entreprise. Le litigeest alors présumé porter sur des sommes conséquentes.
[10] Alain Lacabarats, Rapport à Madame la Garde des Sceaux, Ministre de la Justice « L’avenir des juridictionsdu travail : Vers un tribunal prud’homal du XXIème siècle ».
[11] Selon les Chiffres clés de la justice 2017, le taux d’appel sur les jugements au fond prononcés en 2015serait : pour les Tribunaux de Grande Instance en 1er ressort de 21,4 %, pour les Tribunaux d’Instance de5,6 %, pour les Conseils des prud’hommes en 1er ressort de 67,8 % et pour les Tribunaux de commerceen 1er ressort de 13,7 %.
[12] Selon les Chiffres clés de la justice 2017, la durée moyenne des affaires terminées (en mois) en 2015était pour les Cours d’appel de 12,2 ; pour les Tribunaux de grande instance de 7,1 ; pour les Tribunauxd’instance et les juridictions de proximité de 5,3 ; pour les Conseils de prud’hommes de 14,0 ; et pourles Tribunaux de commerce de 5,3. Face à la lenteur des juridictions prud’homales françaises, plusieurscondamnations pour délais excessifs furent prononcées par la Cour européenne des droits de l’homme :58 fois en 2012, 51 fois en 2013.