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Bonne foi de l’avocat dans la mise en œuvre de la clause compromissoire

Jurisprudences Commentée par Laurent POSOCO

Maître de conférences à l’Université de Corse - Cass. civ. 1ière 16 mars 2016, n° 14-23.699, FS-P+B+I

Résumé.

Ayant fait ressortir que les parties avaient eu la volonté de se soumettre à l'arbitrage, l'exigence de bonne foi pouvait leur être opposée et que les pouvoirs du cabinet d'avocats émirati étant apparents, la croyance de la société d'avocats londonienne mandatée à l'engagement des parties était légitime, la cour d'appel en a exactement déduit que le tribunal arbitral était compétent.

 

Analyse de la décision.

L’affaire commentée intervient en matière de fixation des honoraires d’avocat, discipline relativement réfractaire à l’arbitrage[1] . En l’occurrence, deux ressortissants émiratis ont chargé un cabinet d'avocats londonien, Eversheds, de les représenter dans un arbitrage à Londres les opposant à une société grecque par une lettre d'engagement du 16 juillet 2009 dépourvue de clause compromissoire. Une seconde lettre d'engagement, stipulant une telle clause, a été signée le 29 mars 2010 entre le cabinet d'avocats emiratis Galadari & associates (GLDR), chargé habituellement des intérêts desdits ressortissants émiratis, et M. A..., pour que celui-ci, qui avait quitté le cabinet Eversheds et avait fondé la société A... and Associates (Shackleton), suive cette instance. Un différend s'étant élevé relativement au règlement des honoraires, la société A... a mis en œuvre la convention d’arbitrage. Une sentence est rendue à Paris, le 17 juillet 2012, rectifiée par un addendum du 24 août 2012. Elle déclare le tribunal arbitral compétent pour statuer sur la demande de la société en paiement d'une facture d'honoraire. Une seconde sentence, rendue à Paris le 1er mars 2013, condamne les émiratis à payer à l'autre partie une certaine somme. Les succombants font grief à l'arrêt de rejeter leur recours en annulation des sentences au mépris des articles 1506 al. 3[2] , 1520 al. 1[3] , 1466[4] et du CPC. En effet, divers moyens avaient été soulevés à l’encontre de la compétence du tribunal.

 

La cour d’appel constate que les lettres ont été signées par le cabinet GLDR qui représentait habituellement les demandeurs. Elle relève que M. A. a adressé un message électronique pour soumettre aux demandeurs un projet de contrat stipulant la clause compromissoire et que celui-ci a été signé et transmis aux demandeurs à l’action en annulation des sentences. Elle retient enfin que ce contrat a été ultérieurement exécuté par les demandeurs qui ont directement donné des instructions à l’avocat M. A. et réglé ses premières factures. Elle fait ainsi ressortir que les demandeurs ont eu la volonté de se soumettre à l’arbitrage et par conséquent que l’exigence de bonne foi pouvait leur être opposée. Les pouvoirs du cabinet d’avocats GLRD représentant habituellement les intérêts des demandeurs étant apparents, la croyance de l’avocat - M. A. - à l’engagement des demandeurs est légitime. La cour d’appel et la Cour d’appel en ont déduit que le tribunal arbitral était compétent.

Dans la mesure où les parties avaient eu la volonté de se soumettre à l'arbitrage, l'exigence de bonne foi rendait la compétence du tribunal arbitral inévitable. La croyance en l'engagement des parties adverses étant légitime, il y avait lieu d'en déduire la compétence du juge privé.


Quelques observations doivent d’être formulées :

  • La décision repose d’une part sur le recours à la notion de bonne foi dont on connait par ailleurs la vitalité[5]. Le droit de l’arbitrage édicte un principe de loyauté qui impose cohérence dans le comportement, respect du principe de la contradiction, notamment dans la communication des documents, contribution avec diligence à la progression de l'instance et participation de bonne foi aux phases successives de la procédure. En l’occurrence, le demandeur connaissait la clause d’arbitrage et il s’était soumis à l’ensemble de la procédure. A telle enseigne qu’on aurait pu considérer qu’il s’agissait bien davantage d’un problème de simple mise en œuvre d’une clause compromissoire que de bonne foi. L’invocation de ce principe n’était peut-être pas indispensable.
  • L’arrêt admet d’autre part la théorie du mandat apparent. Les pouvoirs du cabinet d'avocats GLDR étant vraisemblables, la croyance de la société d'avocats mandatée à l'engagement des parties était légitime, la cour d'appel en a exactement déduit que le tribunal arbitral était compétent. Le principe est que les actes effectués par un prétendu mandataire seront inopposables au mandant, sauf si les conditions du mandat apparent sont réunies, ce qui est le cas lorsque le tiers pouvait légitimement croire au mandat de l'avocat ou de l'avoué[6]. La solution ne peut qu’être approuvée, les événements suscitant la croyance légitime étant largement expliqués par les juges d’appel.
[1] Décret n° 91-1197, art. 173 et s.
[2] CPC, art. 1506 al. 3 : « A moins que les parties en soient convenues autrement et sous réserve des dispositions du présent titre, s'appliquent à l'arbitrage international les articles : (…) 3° 1462, 1463 (alinéa 2), 1464 (alinéa 3), 1465 à 1470 et 1472 relatifs à l'instance arbitrale (…) ».
[3] CPC, art. 1520 al. 1 : « Le recours en annulation n'est ouvert que si : 1° Le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent (…) ».
[4] CPC, art. 1466 : « La partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir ». [5] Ord. 2016-131, art. 1104 : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public » ; art. 1112 : « L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. (…) » ; art. 1198 : « Lorsque deux acquéreurs successifs d’un même meuble corporel tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a pris possession de ce meuble en premier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi. Lorsque deux acquéreurs successifs de droits portant sur un même immeuble tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a, le premier, publié son titre d’acquisition passé en la forme authentique au fichier immobilier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi » ; art : 1342-3 : « Le paiement fait de bonne foi à un créancier apparent est valable » ; art. 1352-1 : « Celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles–ci ne soient pas dues à sa faute » ; art. 1352-2 : « Celui qui l’ayant reçue de bonne foi a vendu la chose ne doit restituer que le prix de la vente. S’il l’a reçue de mauvaise foi, il en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix » ; art. 1352-7 : « Celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande ». [6] Lyon, 8 janv. 1986, D. 1987. Somm. 66, obs. Brunois. - Civ. 3e, 2 mars 2005, no 03-15.466 , Bull. civ. III, no 56, pour des actes extrajudiciaires